dimanche 5 août 2012

L'assassinat d'Adenauer / Der Mord an K. Adenauer

La semaine dernière, la chaîne Arte (qui n'a de franco-allemand que le financement, mais dont le coeur est bien ailleurs) consacrait une émission du soir à Konrad Adenauer (1876-1967), premier Chancelier de  la République fédérale d'Allemagne (1949-1963), leader de la CDU (Union Chrétienne-Démocrate).

Konrad Adenauer y a été salement assassiné. Il a été dépeint comme un homme fragile, retors, cynique et mesquin.

Selon Arte, le gouvernement d'Adenauer est à jamais (sic) entaché (re-sic) pour avoir compté parmi ses membres, sur l'insistance d'Adenauer lui-même, le Dr Hans Globke (1), secrétaire d'Etat à la Chancellerie, et ancien commentateur des lois de Nuremberg instituant une sorte de statut des Juifs en Allemagne (2).  Arte pose qu'Adenauer a nommé Globke contre l'avis de Blankenhorn (3) et qu'il l'a même nommé en raison de ce passé : ainsi fragilisé, Globke ne pourrait prendre le risque de se montrer déloyal envers le Chancelier.

On savait que l'Union Chrétienne-Sociale en Bavière, la CSU, était un des satans d'Arte. Dans cette émission assassine et désinformatrice, Arte attribue à Adenauer une aversion envers Franz Josef Strauss,
"ambitieux" (sic), "brutal" (re-sic) (4). Adenauer s'engage à ne jamais nommer Strauss ministre de la Défense pour, finalement, lui confier ce ministère et in fine organiser son départ du gouvernement six ans plus tard avec avant tout le souci de ne pas laisser Strauss l'entraîner dans sa chute.

Arte se livre à une désinformation massive et grossière à propos des prisonniers de guerre allemands dont Adenauer est allé solliciter avec succès, malgré bien des difficultés, la libération en U.R.S.S. en septembre 1955 (5) : il se serait agi de criminels de guerre (sic). C'est faux, archi-faux, grossier et ridicule. Il s'agissait de soldats capturés par les Soviétiques qui les avaient traités durant dix ans dans des conditions engendrant une mortalité massive.

A plusieurs reprises, Arte blâme Adenauer pour n'avoir pas été tendre avec ses adversaires politiques au cours de campagnes électorales, et notamment pour avoir, à l'occasion, accusé le SPD d'être à la solde de Moscou (6).

Arte évoque le crépuscule du gouvernement Adenauer après les élections de 1961, son départ planifié de la Chancellerie en octobre 1963 (7). Rappelant à ses télespectateurs que sa création est la lointaine conséquence d'une des dispositions du traité franco-allemand du 22 janvier 1963, Arte évoque ce traité dans des termes trompeurs, lui attribuant une importance et un sens qu'il n'a jamais eu (8).


N O T E S

(1) la propagande communiste qui désignait les dirigeants de Bonn comme une bande de "revanchards" avait organisé un procès par contumance de Globke en zone soviétique d'occupation (la prétendue République Démocratique Allemande); j'en avais entendu parler mais mon étonnement portait surtout sur le fait que près de vingt ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on nous parle encore de ce qu'on désignait comme des crimes du nazisme et de ce qu'on n'appelait pas encore la Shoah; la question de savoir si les accusations portées contre Globke étaient avérées ou non ne se posait pas vraiment; je ne pouvais pas seulement imaginer l'invention à venir de la Mémouare et du shoacentrisme;

(2) Maurice Duverger (°1917), professeur de Droit à Paris après la Seconde Guerre Mondiale, commenta dans la première partie des années 1940, le Statut des Juifs promulgué sous l'Etat Français (1940-1944); cela ne l'empêcha pas de faire une brillante carrière au Monde, à L'Express, au Nouvel Observateur; il s'y faisait le défenseur du régime présidentiel, de la T.V.A., du mode de scrutin majoritaire, de l'union des gauches, du neutralisme en politique étrangère;

(3) Blankenhorn figure dans les romans de Roger Peyrefitte (Les Ambassades, La Fin des Ambassades) sous le pseudonyme de Rudolf Schwartz; il fut ambassadeur dans différents pays après la création de la RFA, et notamment en France; selon les ouvrages de Roger Peyrefitte, il renoua alors les liens entre l'Ambassade d'Allemagne et une partie de la société parisienne qui existaient du temps de son prédecesseur Otto Abetz;

(4) Franz Jozef Strauss était un anticommuniste sincère et conséquent; il était toutefois plus prudent que son image médiatique le laissait penser. Les directeurs de conscience d'Arte ne peuvent sans doute pas lui pardonner d'avoir, au début des années 1970, souhaité que "la gauche ferme sa gueule jusqu'à la fin du siècle". Arte a l'Union Chrétienne-Sociale en Bavière (CSU) en aversion : elle n'est presque jamais désignée sous son nom à l'antenne et un des ses leaders de la dernière décennie, Edmund Stoiber, fut qualifié par la voix de William Irigoyen, sur Arte d'"ultra-conservateur", étiquette qu'il partage sur la même chaîne avec le président iranien Ahmadinedjad;

(5) ce voyage à risques fut un grand succès, Paris Match qui le couvrit, nota que le catholique Adenauer s'était rendu dans l'église Saint-Louis des Français, le seul lieu de culte catholique ouvert à Moscou; il publia une photographie d'Adenauer dans cette église; ce ne sont pas des "criminels de guerre" qu'Adenauer est allé chercher en Union Soviétique mais des survivants d'une captivité criminelle.

 Autre erreur factuelle d'Arte relative à un évènement du milieu des années 1950 : l'accession de la R.F.A. à l'Alliance Atlantique dont Arte prétend faussement qu'elle entraîna le départ des forces d'occupation (USA, UK, France, Belgique, Pays-Bas); ce n'est pas vrai : le statut de ces forces changea : de troupes d'occupation, elles devinrent troupes alliées stationnées en Allemagne; le retrait de la France de l'O.T.A.N. en 1967, obligea Paris et Bonn a conclure un accord aux termes duquel les Forces Françaises en Allemagne ne redevenaient pas troupes d'occupation; il fut notamment stipulé que le drapeau allemand devait être hissé aux côtés du drapeau français dans toutes les installations des Forces Françaises en Allemagne après 1967;

(6) le chef du SPD, Kurt Schumacher, qualifiait Adenauer  de "Chancelier des Alliés", comprendre : des Américains, des Britanniques, des Français; il était dans l'ordre des choses qu'Adenauer répliquât en accusant le SPD, qui entendait ménager l'U.R.S.S. pour préserver la possibilité d'une réunification plus rapide, d'être à la solde de Moscou, si toutefois cette expression qu'Arte prête à Adenauer fut bien employée par celui-ci;

(7) Adenauer aurait préféré que son successeur fut un certain Eugen Gerstenmaier (CDU), président du Bundestag de 1954 à 1969, prédicateur de l'Eglise Evangélique en Allemagne, à la flatteuse réputation de "résistant" au nazisme et de victime de celui-ci (réputation largement usurpée en ce qui concerne le statut de victime). Parmi les personnalités de la CDU des dernières années du gouvernement Adenauer, le premier Gerhard Schröder (à ne pas confondre avec son homonyme SPD qui fut ministre-président de Basse-Saxe, et Chancelier fédéral de 1998 à 2005), ministre des Affaires Etrangères, se montrait peu enclin à exercer une pression sur Adenauer pour obtenir son retrait de la Chancellerie; il fut plus tard ministre de la Défense (1966-1969) et candidat malchanceux à la présidence de la République fédérale en 1969;

(8) le traité franco-allemand du 22 janvier 1963 n'est que l'application à la seule France et à la seule Allemagne des conceptions institutionnelles de De Gaulle en matière européenne : avant ce traité, dès le tout début des années 1960, De Gaulle avait vainement essayé de remplacer, ou d'encadrer les institutions en place (C.E.C.A., Euratom, C.E.E.) en leur retirant tout caractère supranational; le traité franco-allemand oblige seulement ses signataires à se réunir périodiquement pour essayer de coopérer; Paul-Henry Spaak notait finement qu'il n'y a pas lieu de s'obliger par traité à se rencontrer. Le traité franco-allemand de 1963 a eu un effet positif en politique intérieure française : il a empêché qu'on puisse à l'avenir se référer à De Gaulle pour revenir aux relations d'antagonisme franco-allemand; sans ce traité, Alain Juppé aurait eu, en 1989-90, alors qu'il dirigeait le parti gaulliste RPR, plus de mal à "calmer" Michel Debré, opposant à la réunification de l'Allemagne.