dimanche 8 juillet 2012

Idées reçues et fausses (paysage médiatique, été 2012)

En ce début d'été 2012, deux erreurs sont communément véhiculées par les médiats à l'occasion de la commémoration d'évènements survenus un demi-siècle auparavant :

évènement : accession à l'indépendance de la République Algérienne Démocratique & Populaire;
idée reçue et fausse associée à cet évènement : cette indépendance serait intervenue au terme d'un conflit dont l'entité France n'aurait admis et reconnu qu'il s'agissait d'une guerre que 37 ans plus tard; le corollaire de cette idée reçue et fausse est que ce retard dans la reconnaissance de cette guerre est dû au sentiment de malaise et de culpabilité de l'entité France qui aurait du mal à assumer ses crimes contre le peuple algérien, les droits de l'homme etc...etc...

FAUX : le terme de guerre d'Algérie était utilisé par le public, les médiats et le monde politique, à des degrés divers, pendant le conflit; on considérait que la guerre d'Algérie faisait suite à la guerre d'Indochine, qui faisait elle-même suite à la Deuxième Guerre Mondiale. C'était même la raison pour laquelle les cérémonies du 14 juillet étaient, jusqu'en 1962, entourées d'une relative sobriété; on disait : c'est encore la guerre, ça ne s'est pas arrêté, il y a des soldats français qui se battent, alors c'est pour ça que le 14 juillet on ne fait plus ceci ou cela (1), comme on le faisait avant la guerre etc....; ce qui s'est passé en 1999, soit 37 ans après l'accession de l'Algérie à l'indépendance, c'est que le gouvernement (2) a tenu à faire bénéficier les anciens soldats ayant servi en Algérie des mêmes droits et avantages que ceux de leurs devanciers ayant participé à une guerre; pour établir une parfaite égalité entre anciens combattants, on a inscrit dans la loi que le conflit algérien avait été une guerre, ce qu'il était déjà dans l'esprit des contemporains, dans les discours des hommes politiques et dans les médiats dès les années 1950; l'aspiration à tourner la page après 1962 s'explique surtout par l'exode des Européens d'Algérie qui a vidé les Accords d'Evian de leur substance et libéré ainsi la partie algérienne de la majeure partie de ses obligations : De Gaulle a reçu Ben Bella en secret au château de Champs en Seine-et-Marne, pour ne pas raviver le ressentiment des Européens d'Algérie à l'égard du gouvernement français comme à l'égard du gouvernement algérien qui avait souhaité leur départ (3); par ailleurs, les Français d'Europe voyaient avec surprise et déplaisir qu'ils devaient à la fois accueillir les Européens d'Algérie et des immigrés algériens dont le nombre devenait supérieur à ce qu'il était pendant la guerre d'Algérie alors que dans l'esprit de la plupart des Français d'Europe, l'indépendance de l'Algérie devait implicitement avoir pour conséquence l'évaporation de la plus grande partie de la communauté nord-africaine en France d'Europe. Si malaise et honte il y avait, il était lié au sentiment d'avoir été trompé, abusé par la partie algérienne dont De Gaulle voulait se concilier les bonnes grâces pour mener sa prétendue politique étrangère de "grandeur" et d'indépendance qui s'est avérée très coûteuse.

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évènement : rencontre à Reims entre Adenauer et De Gaulle au début de l'été 1962;
idée reçue et fausse associée à cet évènement : cette rencontre aurait scellé, dix-sept ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la réconciliation franco-allemande.


FAUX : la République Française et la République Fédérale d'Allemagne (R.F.A.) étaient alliées depuis 1955 et l'adhésion de la R.F.A. à l'Alliance Atlantique (O.T.A.N.) dont le siège était d'ailleurs à Paris; les jumelages franco-allemands se multipliaient depuis les années 1950. Les deux Etats étaient membres du Conseil de l'Europe, de la C.E.C.A. (pool charbon-acier), de la C.E.E. (Marché Commun) et de l'Euratom.
La France avait respecté la volonté des Sarrois (4) de rattacher leur Land à la R.F.A. à la suite de leur rejet du statut de territoire européen par referendum en 1955. Sous la IVe République, les groupes gaullistes (R.P.F., puis Républicains Sociaux), se sont appliqués au contraire à entraver cette politique d'apurement des contentieux franco-allemands; la présence concommitante aux Ministères des Affaires Etrangères des deux pays, pendant de longues années, au début de la R.F.A. et sous la IVe République française, de représentants du parti démocrate-chrétien M.R.P. et de la C.D.U. a facilité cette réconciliation et cette amitié. La rencontre de Reims, le voyage de De Gaulle en R.F.A. quelques mois plus tard, la signature du traité franco-allemand de janvier 1963 n'ont pas scellé une amitié déjà acquise (5); le traité franco-allemand de janvier 1963 n'est que l'application aux seules France et Allemagne des conceptions DeGaullistes en matière d'institutions européennes : on s'engage par traité à ....se réunir périodiquement pour essayer...de se mettre d'accord et de coopérer. C'est ce type d'institutions que De Gaulle aurait voulu voir se substituer à la C.E.C.A., à la C.E.E. et à l'Euratom. Le but du traité de janvier 1963 était de détacher la R.F.A. des Etats-Unis et de la lier à la France comme junior partner.

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N O T E S

(1) peu attiré par les cérémonies "patriotiques", du moins celles qui sont en rapport avec l'Etat-nation "républicain" jacobin et multi.....continental, à vocation universelle, la Grande Nation, je n'ai pas retenu quelle était la part des festivités dont on s'abstenait depuis la guerre et tant qu'il y aurait des soldats français engagés dans une guerre, mais j'atteste que ce détail était régulièrement rappelé;

(2) il s'agit du gouvernement socialo-écolo-communiste dirigé par Lionel Jospin (1997-2002); Lionel Jospin et ses amis politiques adhèrent, ou font semblant d'adhérer, à la vulgate médiatique et académique (Benjamin Stora et ses collègues) selon laquelle ce sont ses crimes envers les Algériens qui empêcheraient l'entité France de reconnaître rapidement la validité de leurs thèses pro-FLN algérien, ses responsabilités, sa culpabilité etc.... : confronté à un problème de port de voile islamique dans des collèges de l'Oise dès la fin des années 1980, le ministre de l'Education Nationale Lionel Jospin, PS et ancien trotskyste, justifiait son refus d'une politique répressive par le propos suivant : "j'appartiens à une génération qui a fait la guerre d'Algérie, il y a des chemins qu'on ne me fera pas refaire";

(3) les signataires français des Accords d'Evian tablaient sur le maintien à court terme de la moitié environ, soit 500 000 personnes, des effectifs des populations européennes d'Algérie, protégées par un statut inclus dans les Accords d'Evian; les signataires algériens escomptaient un maintien dans l'Algérie indépendante d'un maximum de 150 000 Européens d'Algérie. Il en est resté 45 000;

(4) le conflit sarrois, qui s'est prolongé jusqu'en 1955, soit 6 ans après la reconstitution d'un Etat allemand, a retardé la normalisation des relations franco-allemandes; il trouve son origine dans la volonté des dirigeants français de l'immédiat après-guerre de s'assurer une "prise de guerre" : le détachement de la Sarre de l'Allemagne (les alliés de la France, pas plus que l'U.R.S.S., ne lui auraient permis de l'annexer purement et simplement). La Sarre fut liée à la France dans une Union Economique Franco-Sarroise, la France imposa l'adhésion de la Sarre au Conseil de l'Europe pour tenter d'obtenir la reconnaissance internationale de sa séparation d'avec l'Allemagne. Après la Première Guerre Mondiale et jusqu'en 1935, la Sarre avait été également dotée d'un statut la séparant de l'Allemagne et garanti par la S.D.N. En 1935, sous le IIIe Reich, les Sarrois avaient choisi par referendum de faire retour à l'Allemagne....sous Hitler. Il s'en est ensuivi qu'après la Deuxième Guerre Mondiale les Sarrois refusant le statut que la France leur avait octroyé après la guerre étaient soupçonnés sinon de nazisme, du moins d'un nationalisme allemand fort suspect. Le maintien de ce statut particulier se fit à grands frais (la France dépensa beaucoup d'argent pour moderniser l'économie sarroise, la relever et... y restreint fortement les libertés politiques : interdiction de la propagande des partis n'acceptant pas le statut imposé par elle, soutien à un gouvernement sarrois appuyé par les seuls partis favorables au statut). Isolée parmi ses alliés, la France dut accepter de proposer un autre statut aux Sarrois : la Sarre deviendrait territoire européen, siège de toutes les institutions européennes existantes et à venir, détaché de l'Allemagne jusqu'à la signature d'un traité de paix définitif. Ce statut européen fut soumis aux Sarrois par referendum en septembre 1955, tous les partis étant autorisés à faire campagne : deux Sarrois sur trois le rejetèrent. Les gouvernements français présidés par Edgar Faure, puis par Guy Mollet, en prirent acte, malgré les protestations gaullistes, émises surtout par la voix de Michel Debré, et préparèrent le retour de la Sarre à l'Allemagne; l'hebdomadaire National Zeitung  du Dr Frey (dont Moshe Menuhin était un collaborateur) écrivit bien plus tard, évoquant ce retour de la Sarre comme "la petite réunification" : "es spricht für Frankreich" : ce choix (des gouvernements d'Edgar Faure et surtout de Guy Mollet) témoigne en faveur de la France"; dans cette affaire, les gaullistes ont été les empêcheurs et les gêneurs;

(5) le traitement des prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la guerre (il n'est pas question ici des prisonniers politiques, déportés ou astreints au S.T.O.), le choix de prisonniers de guerre allemands de demeurer en France après leur libération (malgré des débuts de captivité auxquels tant d'entre eux ne survirent pas: cf. :  le livre, épuisé, du Canadien Bacque intitulé "Morts pour causes diverses" aux éditions Sand, publié en 1990), le fait qu'il y ait eu des antifascistes allemands dans la Résistance française, et des combattants français sur le Front de l'Est aux côtés des Allemands (L.V.F., puis Division Charlemagne), des Allemands ayant contracté un engagement sous le drapeau français en Indochine (Frankreichs fremde Söhne) quand il n'y avait plus d'armée allemande, ont plus fait pour cette amitié et cette réconciliation que n'importe quelle rencontre ou n'importe quel traité.