mardi 30 octobre 2012

Radio Stuttgart ; "Au sujet des services de renseignements" (30/10/39)

Le texte ci-après, intitulé "Au sujet des services de renseignements", est la version écrite de l'éditorial de l'émission en français de Radio Stuttgart diffusé le 30 octobre 1939.

Radio Stuttgart est un des émetteurs du Reich allemand, un Etat avec lequel la République française est, de fait (1), en guerre depuis un peu moins de deux mois; le thème de l'éditorial est l'incompétence attribuée par l'éditorialiste aux services de renseignements du Royaume-Uni.

Le public visé par l'émission est le public résidant en France. C'est un éditorial d'une station de radio d'un Etat en guerre, adressé à la population d'un pays avec lequel ce même Etat est en guerre. La diffusion sur les ondes de cet éditorial intervient pendant la période qualifiée de "drôle de guerre" entre septembre 1939 et mai 1940.


"Au sujet des services de renseignements (30.10.1939)

Nous a-t-on assez rabâché pendant des années que l'Intelligence Service (appellation pleine de modestie qui désigne les services de renseignements anglais) (2) savait tout, s'insinuait partout, voyait tout et pouvait tout ! Les histoires les plus mirifiques concernant ses exploits s'étalaient dans tous les journaux. Du Cap Horn au fond de la Sibérie, l'Intelligence Service invisible, mais présent, présidait aux destins du monde et veillait sur les coffres-forts britanniques.

Eh bien, comme beaucoup d'autres réputations, celle de Intelligence Service était quelque peu surfaite, car, de deux choses l'une, ou bien l'Angleterre était mal renseignée, ce qui l'a portée à commettre un nombre considérable de sottises depuis le mois de mars (dernier), ou bien, étant bien renseignée, elle a refusé d'écouter ceux qui faisaient parvenir des avis réels et a délibérément lancé le monde dans une aventure sans précédent.

Nous rappellerons seulement pour mémoire les illusions de Chamberlain (3), auquel ses renseignements faisaient croire que Staline n'attendait qu'une occasion pour déclarer la guerre à l'Allemagne. Le 23 août, le Premier britannique reçut certainement un des chocs les plus violents de sa vie, lorsqu'il constata qu'en réalité les chefs de l'Allemagne et de la Russie avaient, grâce à lui, trouvé une bonne raison de s'entendre pour le mutuel profit de leurs peuples (4).

Une des plus belles preuves de la parfaite méconnaissance des réalités allemandes nous a été donnée dans les premiers jours de la guerre, lorsque les pilotes aériens britanniques ont déversé sur l'Allemagne des tonnes de petits pamphlets destinés, dans la naïve opinion de leurs auteurs, à amener la révolution en Allemagne. On avait fait croire au gouvernement anglais que le peuple allemand était fatigué du National-Socialisme et n'attendait qu'une occasion pour descendre dans la rue. Nous devons donc admettre que la situation en Allemagne était méconnue à un point tel que ni les diplomates, ni les services de renseignements n'avaient pris en considération l'oeuvre accomplie socialement en faveur du peuple, la confiance que les jeunes ont en leurs chefs, la foi qu'ils éprouvent à l'égard de la force de leur race et de la grandeur de leur Reich, cette unité de pensées, de volontés, d'actions qui est une des caractéristiques de l'Allemagne nationale-socialiste. Il avait suffi que quelques vieilles gens, grognons et incompréhensifs (5), élevassent de temps en temps des protestations contre les temps nouveaux, pour que ces récriminations sans portée fussent assimilées à un mécontentement des masses populaires et poussassent Chamberlain à la guerre !

D'autres renseignements, également erronés ou même inventés de toutes pièces, représentaient l'armée allemande comme manquant d'officiers en nombre suffisant pour entraîner et encadrer les recrues.

Mais le comble de l'erreur, c'était l'annonce de la disette de vivres qui devait jeter l'Allemagne à genoux en quelques jours. Rien ne lui était comparable, que le manque de pétrole. Qu'importaient le nombre et la force des avions allemands, que valaient les divisions motorisées, puisque bientôt, dans quelques semaines, les moteurs allaient s'arrêter faute d'essence !

Quant au gouvernement national-socialiste, il n'était composé de gens se disputant à longueur de journée; le Führer (6) était à couteaux tirés avec les chefs de la Reichswehr et l'annonce seule de la déclaration britannique de guerre allait voir tous ces ministres disparaître comme un vol de moineaux !

Je n'exagère rien. Sur des bases aussi puérilement inexactes on a, en Angleterre et en France, édifié la possibilité de la guerre. De telles absurdités ont été répétées par tous les journaux aux braves gens de France (7), qui ne demandaient qu'à les croire puisque, en cas de difficultés, il vaut mieux que l'ennemi soit intérieurement affaibli. Sans ces mensonges, sans ces incompréhensions, sans ces camouflages de la vérité, les peuples occidentaux n'eussent pas permis à leurs gouvernements de les entraîner dans une aventure dont la fin peut être très tragique pour ceux qui se sont trop vantés à ses débuts.

Pour quelques renseignements, peut-être volontairement erronés, voici l'humanité en proie à de terribles convulsions, et la voix du chef qui veut encore la paix a été couverte de ridicule par ceux-là mêmes dont l'ignorance est une des causes du mal et qui continuent à enchaîner les unes aux autres de nouvelles erreurs". (8)

N O T E S

(1) le Reich n'a pas déclaré la guerre à la France, mais la France n'a pas non plus déclaré la guerre au Reich dans les formes prévues par les lois constitutionnelles de 1875 qui constituent la loi fondamentale de la IIIe République Française et qui exigent un vote du Parlement : il y a eu simplement un octroi de crédits militaires au gouvernement lui permettant de faire la guerre;

(2) l'éditorialiste joue sur les mots, ou n'est pas angliciste : en anglais, "intelligence" veut ici dire "renseignements", "collecte de renseignements", et le terme n'a dans le contexte de l'expression "Intelligence Service" aucun rapport avec l'intelligence en tant que faculté mentale;

(3) il s'agit de Neville Chamberlain qui est alors Premier ministre du Royaume-Uni, et qui le restera jusqu'en mai 1940;

(4) il s'agit du pacte de non-agression germano-soviétique signé le 23 août 1939; aucune des parties signataires de ce pacte ne semble avoir été sincère et l'avoir tenu pour durable : dès le déclenchement de la Guerre d'Hiver entre l'Union Soviétique et le Finlande un mois après la diffusion de cet éditorial, l'Allemagne fait brièvement parvenir de l'aide à la Finlande (ce que les Soviétiques ne tarderont pas à apprendre); la Finlande est massivement aidée par des volontaires suédois avec la bénédiction d'un officier supérieur de l'armée suédoise qui n'est autre que le beau-frère d'Hermann Goering, ministre de l'Air du Reich allemand; le Reich apprendra très vite, par les bavardages d'Alexandra Kollontaï, ambassadrice de l'URSS à Stockholm, que l'Union Soviétique attend le moment favorable pour "briser les reins" du Reich (cité par André Fontaine dans "Histoire de la Guerre Froide");

(5) il s'agit d'un éditorial de propagande de guerre : l'opposition interne au gouvernement national-socialiste est désignée comme "quelques vieilles gens, grognons et incompréhensifs", qui élèvent "la voix de temps en temps" et protestent contre "les temps nouveaux" (comprendre : la politique du gouvernement national-socialiste);

(6) il s'agit d'Adolf Hitler, dont le nom n'est jamais prononcé dans le cours de cet éditorial; plus loin, il est désigné comme "le chef qui veut encore la paix" et dont les ennemis extérieurs et réputés bellicistes couvrent la voix de ridicule; le message est : le Reich veut la paix, la guerre effective n'est pas encore inévitable;

(7) l'éditorial de Radio Stuttgart s'adresse au public français, lequel est naturellement ménagé et désigné comme un ensemble de "braves gens" non acquis à l'idée d'une guerre inévitable et victime d'une propagande belliciste;

(8) fin de l'éditorial de l'émission en français de Radio Stuttgart, une des stations contrôlées par le gouvernement du Reich allemand, diffusé le 30 octobre 1939.


N.B. : à aucun moment il n'est question des Juifs, de leur sort, de projets du gouvernement national-socialiste à leur égard.