lundi 26 mars 2012

Arte Desinfo (nouvelle série) n°4 : karambolage entre propagande et Histoire

La chaîne Arte diffuse une émission hebdomadaire appelée Karambolage et qui semble avoir pour objectif de rappeler au public allemand et au public français, si tant est que ces catégories subsistent, combien ils sont étrangers l'un à l'autre. Ce n'était sans doute pas l'intention des signataires du traité du 22 janvier 1963 qui est à l'origine, lointaine, de la création de la chaîne, mais c'est ainsi.

Dimanche 25 mars 2012, au lieu de commémorer la signature des traités de Rome qui ont créé le Marché Commun et l'Euratom 55 ans auparavant, Arte commémore par le biais de Karambolage (émission de Claire Doutriaux) la signature des Accords d'Evian en MCMLXII entre le gouvernement français (Premier ministre : Georges Pompidou) et l'"organisation extérieure de la rébellion" algérienne.

Madame Doutriaux reconnaît que la Guerre d'Algérie fut "effroyable", et arrange l'Histoire à la façon des directeurs de conscience d'Arte. Les Accords d'Evian sont réduits à ceci :  "la France accepte enfin (sic) de renoncer à sa colonie". C'est plus que réducteur. L'Algérie n'était plus une colonie mais un ensemble de départements français depuis une quinzaine d'années, d'une part, les Accords d'Evian comportaient des stipulations donnant un statut aux Européens d'Algérie, leur octroyant des garanties civiles et politiques, y compris au niveau de leur représentation dans les conseils municipaux des grandes villes, garantissaient la libre circulation entre la France et le nouvel Etat algérien.

Il y avait environ 1 million d'Européens en Algérie, et 9 millions d'Arabo-Berbéro-Musulmans. La partie algérienne signataire des Accords d'Evian ne souhaitait pas le maintien en Algérie de la communauté européenne, et escomptait qu'il n'en resterait qu'environ 150 000 (soit 15%), tandis que la partie française comptait sur le maintien d'environ un demi-million (soit 50%). Il en est finalement resté ... 45 000 !

Officiellement, les Accords d'Evian garantissaient la possibilité du maintien du million d'Européens qui se trouvaient en Algérie. L'exode des Européens d'Algérie vers la France d'Europe a vidé les Accords d'Evian de leur substance et dégagé la partie algérienne (qui souhaitait et prévoyait cet exode bien que plus étalé dans le temps et de moindre ampleur) de ses obligations. La libre circulation entre les deux pays s'est faite dans un seul sens : de l'Algérie nouvelle vers la France d'Europe : exode des Européens d'Algérie, puis immigration massive et continue d'Algériens. Cette circonstance pèse sur la perception de l'immigration maghrébine, et de l'immigration sud-nord en général par le public originaire de la France d'Europe : l'électorat a consenti à l'indépendance de l'Algérie pour ne pas avoir la charge de 9 millions d'Arabo-Berbéro-Musulmans comme concitoyens. Et voilà que la France d'Europe se trouve devoir intéger 1 million d'Européens d'Algérie incités à quitter l'Algérie, y compris par les nouvelles autorités algériennes, puis des centaines de milliers (en attendant plus) d'Algériens. Comme on dit dans les "banlieues" : "ça fout la haine".
Pour de mauvaises raisons de politique étrangère, le gouvernement français n'a pas voulu dénoncer les clauses de libre circulation entre la France et l'Algérie, qui ne fonctionnaient plus que dans le sens sud-nord.


Pour alléger le poids de l'immigration algérienne, très mal ressentie par la population de France d'Europe en raison des circonstances ayant entouré la guerre, puis l'indépendance de l'Algérie, le gouvernement de Georges Pompidou a ouvert la France à l'immigration portugaise (le Portugal est alors un pays très isolé : en raison de son régime politique et plus encore en raison de son refus d'envisager à court terme l'indépendance de ses territoires ultra-marins). Un emploi pris par un Portugais en France, c'est un emploi de moins disponible pour l'immigration algérienne. Ne comptez pas sur Karambolage ni sur Arte en général pour vous le dire. 

In fine, l'émission de Claire Doutriaux (Karambolage) donne le témoignage d'un écrivain algérien, adolescent au moment des évènements, un dénommé Boualem Sandal, lauréat d'un prix littéraire des libraires allemands. Karambolage nous annonce qu'il s'agit d'un "grand monsieur". Extérieurement, on voit que Boualem Sandal a adopté la queue de cheval de Karl Lagerfeld. Dans le cours de son témoignage, on comprend pourquoi Arte le qualifie de "grand monsieur" : son père avait rejoint le FLN (l'organisation qui luttait par les armes et les attentats pour une Algérie indépendante, dirigée par sa majorité arabo-berbéro-musulmane). Sa maman, effrayée par les violences qui ont marqué la période séparant la signature des Accords d'Evian de l'indépendance le 5 juillet MCMLXII, est venue à l'aide d'une certaine Odette, Française d'Algérie et de ses enfants, qu'elle a accueillis chez elle en attendant le départ d'Odette et des siens pour la France d'Europe. Karambolage nous révèle la position politique du père de Boualem Sandal, mais pas celle d'Odette.