samedi 6 janvier 2018

La durable malfaisance de ces haineux (C.N.E. : Conseil National des Ecrivains)

Le 29 mai 1968 s'éteignait Jacques Boutelleau, dit Jacques Chardonne, écrivain charentais et protestant. Il était né le 2 janvier 1884.


Sa mère, une quaker, appartenait à la famille Haviland, les porcelainiers de Limoges d'origine américaine. Il avait pris le pseudonyme littéraire de Chardonne en référence à la localité de Chardonne (près de Vevey) dans le canton suisse de Vaud, où il avait effectué un séjour de convalescence : participant à la guerre de 1914-1918, sa santé avait été gravement altérée.


Pendant la Seconde Guerre Mondiale, cet ancien combattant de la Première ne fait pas le choix des futurs vainqueurs (1). A l'issue du conflit, le Comité National des Ecrivains, le C.N.E. issu de la Résistance, (ces haineux, disait Albert Paraz) lui interdit l'exercice des professions d'écrivain et d'éditeur . Brisé, Jacques Chardonne devient l'ermite de La Frette-sur-Seine (aujourd'hui dans le Val d'Oise), dans ce que j'appellerais la banlieue Saint-Lazare (accessible en train depuis la gare Saint-Lazare, à Paris) où il se retire.


Jacques Chardonne retrouve un regain de faveur au début des années 1950, quand le terrorisme intellectuel, le manichéisme tendent provisoirement à s'atténuer : l'isolement relatif du parti communiste et de ses satellites du monde associatif, pour cause de guerre froide, y contribue (2). Il envoie son dernier ouvrage au général De Gaulle qui lui en accuse aimablement réception; le président de la République était cependant une des cibles de la correspondance de Jacques Chardonne.


On sait peu que Jacques Chardonne était apprécié d'un grand lecteur, et compatriote charentais, François Mitterrand.

Jacques Chardonne était lui-même un admirateur du leader socialiste Jean Jaurés.


En 1986, quand les régions deviennent des collectivités territoriales, le Conseil Régional de Poitou-Charentes donne le nom de Jacques Chardonne à deux salles du siège du Conseil. 

Dix-huit ans plus tard, le C.N.E. prend sa revanche : la nouvelle majorité, menée par Mme Ségolène Royal, décide, à l'initiative de quelques-uns de ces membres, qu'au regard de l'attitude de Jacques Chardonne entre 1940 et 1944, son nom ne peut plus être attribué à des salles du siège du Conseil Régional de Poitou-Charentes, et lesdites salles sont débaptisées, si un tel terme convient aux actes d'une majorité aussi laïque, mais qui a donné dans cette affaire, la mesure de sa bêtise, ou de sa pusillanimité devant la Milice Zélote de La Pensée, et de son intolérance; ce sont les héritiers de ces haineux (le C.N.E.).

Le chanteur Pascal Sevran s'est, à l'époque, indigné du sectarisme des conseillers régionaux socialistes à l'origine de cette "épuration" posthume.


L'association des amis de Jacques Chardonne a prononcé sa dissolution en 1998, après le trentième anniversaire de la mort de Chardonne.


"Ces haineux" du C.N.E. et de la majorité de gauche du conseil régional de Poitou-Charentes n'ont pas encore tout à fait gagné : la commune suisse romande de Chardonne (VD) et la commune charentaise de Barbezieux Saint-Hilaire, ville natale de Jacques Boutelleau, dit Jacques Chardonne, sont jumelées.


N O T E S

(1) "Ici occupation correcte, douce, très douce. Mais j'espère que nous souffrirons. J'accepte tout du fond du cœur. Je sens le bienfait de l'« épreuve », la toute-puissance de l'événement. Une immense folie est dissipée [...] j'ai l'horreur de ce que nous étions. Je ne déteste pas l'Allemand mais le Français d'hier, moi, l'Anglais (l'Anglais surtout qui me devient odieux, avec son Churchill dément), frivole et vantard. La censure elle-même me sera bonne. Nous ne voulons pas être nazis, et personne, je crois, n'attend cela de nous. Mais je peux comprendre leur leçon. Derrière cette force matérielle, il y a des forces morales très grandes. La débâcle anglo-française est une débâcle morale" (Lettre de Jacques Chardonne à Jean Paulhan, 6 juillet 1940).

(2) Il a existé, de 1945 à 1960 environ (3), en France, un Parti Socialiste Démocratique (P.S.D.), co-fondé par Paul Faure (4), ancien bras droit de Léon Blum, ayant plus tard rompu avec lui. Ce parti avait pour vocation de permettre le retour à la vie politique de personnes condamnées pour faits de collaboration, ou exclues de leurs partis de gauche ou de centre gauche pour les mêmes raisons. Loin d'être isolé, le P.S.D. était allié du Parti Radical et de l'U.D.S.R. au sein du cartel électoral nommé R.G.R. (Rassemblement des Gauches Républicaines); il était en outre apprécié des Gaullistes du R.P.F. (Rassemblement du Peuple Français) pour son hostilité aux institutions de la IVe République.

(3) L'activité du Parti Socialiste Démocratique (anti-communiste, anti-IVe République, pro-amnistie des vaincus de la Libération) et son influence ont commencé à décliner à partir de 1954, en raison notamment de la réintégration de nombre de ses membres au sein de leurs partis politiques d'origine, dont le parti socialiste S.F.I.O. de Guy Mollet.

(4) Paul Faure n'était ni fasciste, ni national-socialiste. C'était un socialiste avant tout pacifiste, et enclin à une entente avec le voisin allemand, quel que soit son régime. Après la guerre 1939-45, il a souhaité que Paul Rassinier, considéré comme le père du révisionnisme historique (dénommé négationniste par ses contempteurs) puisse être édité et témoigner